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Drogués aux jeux vidéo

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il y a 5 ans 1 mois #544 par Antoine le Montélet
L'auteur [de l'article suivant], Andrew Feinstein est avocat de la famille à Mystic, Connecticut, USA. L'article, long mais excellent, est paru en allemand dans le mensuel "Aufbau", en juin 2018. Traduction française: Gwenaëlle Kobyliansky

Drogués aux jeux vidéo

L'association profesionnelle "American Society of Addiction Medicine" définit la dépendance comme suit: "La dépendance est une maladie chronique qui touche les centres de la récompense, de la motivation et du souvenir dans le cerveau." Ceci a des effets négatifs d'un point de vue biologique, psychologique, social et spirituel, continuent les spécialistes: "Les symptômes typiques de la dépendance sont l'incapacité à une abstinence prolongée, la perte de maîtrise, des exigences incontrôlables et une réduction de la capacité à reconnaître les problèmes causés par la dépendance au niveau du comportement personnel et des relations avec autrui." S'y ajoutent de gros troubles de la vie émotionnelle.

Une exploitation consciente

Cette définition devrait permettre de mieux comprendre les problèmes de Jonathan, 12 ans, que je connais personnellement via mon travail d'avocat, spécialiste du droit de la famille. Il a été diagnostiqué comme souffrant d'un trouble de déficit d'attention avec hyperactivité (TDAH). Bien que détestant l'école, il avait de bonnes notes grâce à ses capacités d'apprentissage. Mais maintenant, Jonathan refuse d'aller en classe. Aussitôt à la maison, il passe des heures à jouer à "Monster Hunter" ou à "Dragon Ball" sur son iPad. Jonathan se prive également d'heures de sommeil. Et si ses parents interviennent pour l'éloigner de l'écran, il réagit avec des crises de rage, des insultes et entretemps de la violence. Il n'a plus d'autre intérêt que ses jeux vidéo. Il va rechercher ses appareils au milieu de la nuit, si ses parents les lui avaient enlevés. Parfois, il prie ses parents de l'envoyer à nouveau à l'école, pour autant qu'en contrepartie on lui permette de jouer plus longtemps. A part les jeux, il n'a plus aucun sujet de conversation.
Au fur et à mesure que son obsession pour les jeux grandissait, ses parents ont observé une diminution constante de ses capacités d'attention. Il n'est plus capable de se concentrer. Il avait déjà avant des difficultés à maîtriser ses impulsions, mais il devient de plus en plus incontrôlable. Par contre, il voudrait pouvoir jouer de plus en plus longtemps. Les avis des psychologues sont partagés quant a fait que les jeux vidéo engendrent la dépendance. Dans la dernière édition du livre "Diagnostic and Statistical Manual" (2013), les experts repoussèrent le concept d'une dépendance à la technologie et placèrent la dépendance aux jeux internet dans la catégorie des thèmes de recherche, c'est-à-dire ne permettant pas de diagnostic comme base de thérapie. Certains neurologues vont même jusqu'à avancer que la pratique des jeux vidéo rend plus performants les centres cérébraux de l'attention et des compétences spatio-visuelles. C'est ici que les développeurs de jeux entrent en scène. Ils agissent de la même façon que les fabricants de chips. Les fabricants de snacks étudient les récepteurs de goût et fabriquent leurs marchandises de manière à les rendre le plus irrésistibles possible. A ce propos, Sean Parker, fondateur de Napster et ancien président de Facebook, déclare: "Comment arriverons-nous à capter le maximum de votre temps et de votre attention? D'une façon ou d'une autre, les médias sociaux doivent vous distribuer régulièrement une petite dose de dopamine. Cela arrive à chaque fois que quelqu'un récompense vos photos, commentaires ou posts avec un < Like >. De cette manière, vous êtes encouragé à produire plus de contenu, ce qui vous vaudra encore plus de < Like > et de commentaires... C'est un mécanisme social". Parker définit ceci comme une exploitation consciente des faiblesses psychologiques par l'industrie. "Et Dieu seul sait ce que nous faisons au cerveau de vos enfants". Ici, il se faisait également le porte-parole des producteurs de jeux électroniques.
Drogues à l'instar de l'héroine

Effectivement, d'un point de vue chimique, les jeux vidéo sont des drogues comme l'héroïne, puisqu'elles stimulent la production de dopamine par le corps. La journaliste scientifique Bethany Brookshire déclare à ce sujet: "Toutes les drogues, de l'alcool à l'héroïne, en passant par la cocaïne, stimulent la production de dopamine d'une manière ou d'une autre. Cela se produit par à-coups, qui sont ensuite définits comme < motivation > ou < plaisir >."Mais l'effet des drogues n'est ici pas encore complètement décrit, continue Brookshire: "De plus, la dopamine excite intensivement certaines régions du cerveau qui encouragent une attention renforcée et sont couplées avec la sensation de < récompense >."
D'après des études scientifiques, la production de dopamine double lors de la pratique des jeux vidéo: "Le changement équivaut à celui atteint par une injection intraveineuse d'amphétamine ou de méthylphénidate", dit Matthias Koepp, de l'University College London. L'amphétamine est l'un des composants de l'Aderall, alors que le méthylphénidate est la substance active de la Ritaline – les 2 médicaments sont prescrits couramment aux enfants avec TDAH. A ce stade, l'explication biochimique de la dépendance aux jeux vidéo est claire: ceux-ci déclenchent chez les écoliers avec TDAH les mêmes réactions que leurs médicaments, tandis que le travail scolaire ne leur apporte aucun sentiment de "récompense" comparable. Les réactions hostiles et violentes à l'interdiction de jouer ont également une explication biochimique: nous n'avons ici en aucun cas à faire à un sentiment de frustration mais à un effet de manque physiologique réel, le même que celui qui apparaît lors du sevrage de l'héroïne. Afin de se sentir à nouveau bien, l'enfant a besoin de la dopamine produite par les jeux vidéo.
En même temps, les jeux vidéo partagent avec les films d'action et les clips musicaux des montages rapides, des scènes courtes et une action permanente, afin de river le spectateur à son siège. Comment, lorsque les enfants sont à ce point soumis à une stimulation constante et à une forte excitation, cela agit-il sur leurs capacités de concentration? Alors que les TDAH sont couramment considérés comme un trouble du développement, les jeux vidéo pourraient en faire un problème durable. Si les enfants sont déjà atteints d'un déficit d'attention, la reprogrammation du cerveau par les jeux vidéo peut conduire à une souffrance incontrôlable.

Renforcement du comportement asocial

Indépendamment des conséquences physiologiques et psychologiques, les appareils électroniques renforcent en soi un comportement asocial: les enfants se concentrent sur les écrans et ne nouent pas les relations personnelles qui sont nécessaires pour faire d'eux des adultes productifs et intégrés dans la société. Les écrans attirent les enfants dans des mondes de fantaisie. Cela ne devrait pas nécessairement poser de problèmes. Mais chez certains enfants, ceci peut influencer la perception de la réalité et provoquer des idées chimériques. Le fait que les jeux vidéo basent si souvent leur pouvoir d'attraction sur la violence est particulièrement préoccupant. Il est possible que le fait d'abattre l'adversaire sur l'écran diminue les barrières psychologiques face au meurtre réel. Il s'agit d'un thème aussi sensible que controversé. De même que la consommation de pornographie ne conduit que rarement aux abus sexuels, les jeux vidéo ne provoquent généralement pas de violence chez leurs fans. Cependant, une minorité a des difficultés à reconnaître la limite entre la fiction et le réel.
La plupart des parents peuvent raconter pendant des heures les actions perverses des appareils électroniques sur leurs enfants. Mais comment contrer les effets qu'ils provoquent, comme l'isolement, la dépendance et les modifications de la personnalité? Beaucoup de parents misent sur la réduction du temps passé devant les écrans et remarquent comme conséquence de plus légers effets de manque. D'autres ne permettent l'utilisation des appareils électroniques que le week-end. Mais ceci conduit souvent à la rupture d'amitiés et donc à des troubles du développement, les enfants passant alors de préférence leur temps libre à la maison devant un écran. Les parents sont alors confrontés à un énorme problème. Ils savent que les jeux électroniques sont la baby-sitter la plus efficace et la moins chère. Il est donc très tentant de coller les petits monstres devant un écran pour profiter d'une soirée tranquille. Et comme les jeux vidéo sont extrêmement important pour les enfants, on dispose d'un moyen de punition et de récompense parfait. Cependant, les limitations motivent souvent les enfants à trouver des moyens de jouer en cachette. Ceci est d'autant plus difficile à contrôler que les écoles utilisent les iPad et les ordinateurs pour les devoirs et la communication avec les professeurs. La plupart des enfants maîtrisant ces techniques mieux que leurs parents, il leur est facile de passer en un éclair du jeu aux devoirs. La plupart des tentatives de restrictions sont ainsi vouées à l'échec.

Impuissance grandissante

Au niveau social, les perspectives des parents et éducateurs paraissent encore plus sombres. Des restrictions légales sur les drogues électroniques se heurtent à des obstacles massifs tels que la liberté de conscience, ancrée dans la Constitution américaine, et le pouvoir du lobby des jeux sur la politique. Les interdictions sont présentées comme injustes, mais cela vaut également pour des productions de jeux à effet de dépendance délibéré, qui se rapprochent ainsi des produits à base de tabac et du FastFood. En même temps, l'électronique connaît une évolution rapide: dans un avenir proche, on pourrait se faire implanter des paupières-écrans. Le contrôle serait alors uniquement mental. L'impuissance des parents atteindrait alors de nouvelles dimensions. Ici, nous ne manquons pas seulement de solutions simples et pratiques contre la dépendance au jeu, nous n'avons pas non plus d'idée sur la façon de réagir face aux futurs développements technologiques. Les problèmes, eux, devraient rester: en fin de compte, les jeux sont toujours plus réels, plus attractifs, et ainsi plus dangereux au niveau de la dépendance. Les contrôles apparaissent impossibles.
Enfin, on peut remarquer qu'un nombre grandissant de joueurs perd le contact avec la société, tandis que des branches professionnelles entières sont menacées par les technologies modernes. Que deviendront les camionneurs et les employés de commerce? Sommes-nous menacés par un futur où la société sera scindée en une minorité de travailleurs productifs et une masse de drogués du jeu avec un esprit anesthésié, un comportement social réduit, et, pour seule raison de vivre, battre un record quelconque dans tel jeu? Ce sont de sombres perspectives. C'est pour cela que nous devrions prendre ce sujet plus au sérieux au niveau social et décider si, en temps qu'êtres humains, nous voulons à long terme rester les maîtres de la technologie ou en devenir les esclaves.

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